III.
_ Alors fils, comment s’est passée ta journée ?
Il était déjà sept heures du soir. La journée de lycée était terminée et son père était rentré. Tous les soirs, ils plaçaient la table pour trois. Même s’ils savaient pertinemment qu’elle n’arriverait que vers minuit, c’était plus un rituel que quelque chose de réfléchi.
_ D’après toi ? Bien, comme toujours.
_ Oh, oui. Comme toujours.
Tony n’était pas très bavard avec son fils. A vrai dire, il ne lui facilitait pas la tâche. Mais il pouvait comprendre. Ou du moins, il se disait qu’il avait compris et cela suffisait amplement à le contenter.
_ Je monte, papa.
_ Tu pourrais pas écrire une fois une histoire policière ? Tu as un style policier.
Max savait que son style n’était pas plus policier qu’il ne savait dessiner.
Il savait que son père voulait qu’il n’écrive que du policier.
Il savait que les choses spéciales qu’il écrivait ne l’intéressaient pas.
Il savait que pour son père, écrire était un passe-temps.
Mais il savait que pour lui, non.
Ecrire était une nécessité. Un besoin. Une évidence. Il fallait qu’il écrive, comme un oiseau doit voler, comme un dauphin éprouve le besoin irrésistible de faire des bons hors de l’eau.
Ecrire était dans sa peau.
Il s’allongea sur le lit et alluma son baladeur. Il mit une musique un peu rythmée. Il ferma les yeux.
Il voyageait au fil de la musique sur de nouveaux paysages. Il n’avait jamais vu cette mer. Il se positionna sur elle.
_ Ca pourrait être intéressant.
Et ce le fut. Quand la musique devint subitement plus suave, il les vit. De la mer décollaient des danseuses aquatiques. De loin on aurait pu croire à des vagues. Mais Max savait. Les magnifiques femmes s’agitaient dans un ballet enchanteur. Elles tournoyaient en l’air, devant lui. Il pouvait sentir l’écume sur son visage. Les entendre rire. Les voir voler gracieusement.
Quand soudainement, le ciel vira au gris. Il savait malheureusement ce qui allait se passer.
_ Tu veux jouer aux cartes avec moi ?
Il sentit une main glacée attraper son bras.
_ Max, Max ! Réveille toi, bon sang !
Il ouvrit les yeux, trempé de sueur, haletant. Le baladeur était toujours dans ses oreilles. Il regarda autour de lui. Trois choses avaient changé dans la pièce.
La première, c’était la présence de son père.
La deuxième lui fit douter de la réalité de ce qu’il voyait : c’était sa mère. En même temps que son père.
La troisième était la présence d’un homme court sur patte, joufflu, aux cheveux poivre et sel, qui tenait un stéthoscope dans les mains.
Le médecin de famille.
Ceci ne présageait rien de bon.
_ Bon retour parmi nous.
Il ne savait pas si les paroles avaient été prononcées par son père, sa mère ou le Dr. Gilbert. Ou par les trois ?
_ Ne vous inquiétez pas. Il ne s’agit ni plus ni moins qu’une crise de panique due à un cauchemar accompagnée de saignements du nez. Rien de grave.
Max sourit.
_ Merci docteur. Est-ce que vous auriez un remède contre… ça ?
_ Un remède ? Le meilleur du monde.
Angela, Tony et Max furent interloqués.
_ Oui, le meilleur du monde. Tes parents m’ont dit que tu écrivais beaucoup.
_ Oui, pourquoi ?
Il commençait à devenir perplexe.
_ Repose ton imagination durant un mois.
_ Attendez. Je vais devoir… arrêter d’écrire un mois ?
_ C’est cela.
Pendant un instant, Max cligna des yeux, regarda ses parents…
Et tout devint flou.