Chapitre 2 : Marjorie Safi.
Marjorie entra dans l’endroit qui sentait atrocement la cigarette. Seulement, elle ne sentait plus rien. Sa mère lui en soufflait déjà tant sur le nez qu’elle n’était plus capable de déceler la moindre fumée suspecte. Le patron du cybercafé, Lloyd, lui sourit.
_ Qu’est-ce que tu veux, ma jolie ?
_ Utiliser un de ces ordinateurs. Avec Internet.
_ C’est 10 dollars pour une demi-heure, ici.
_ 10 dollars ?
Elle regarda piteusement vers la sortie.
_ Et si je vous payais plus tard ?
_ Pas question. La maison ne fait pas crédit.
Elle sortit, cernée par le regard des clients. Il fallait qu’elle trouve un autre moyen d’écrire cet article.
Elle s’assit sur le trottoir et se vit alors dans une flaque. Jamais une jeune femme de 16 ans avait paru si vieille. Ses pommettes étaient saillantes, ses yeux bleus, soulignés par de profondes cernes. Son teint était blafard.
Marjorie avait été profondément affectée depuis le départ de son père. Son beau teint halé et sa mine réjouie s’étaient envolés. Elle savait bien que le cas se reproduisait dans de nombreux foyers, mais cela l’importait peu. Comme tout le reste. Seul importait ce qu’elle avait devant les yeux : une famille ruinée, vidée. Trois cafards vivant au milieu des cartons et des détritus. Des êtres méprisés. Et elle avait fait la promesse stupide de tout arranger.
Elle soupira. Ce mois serait rude.
La flaque d’eau fut alors troublée par un objet qu’avait lancé une vieillarde. Une pièce d’un dollar.
_ Madame ! Madame, attendez !
_ Quoi donc, pauvre enfant ?
_ Je ne suis... enfin...
Un sourire s’illumina sur son visage.
_ Merci bien, madame.
_ Il n’y a pas de quoi, petite.
Marjorie ne pensait alors pas que rester assise pourrait lui donner une chance quotidienne d’écrire ses articles. Quand elle obtint ses 10 dollars, il était seize heures.
Elle fit irruption dans le cybercafé aux murs cramoisis.
_ Eh, je t’ai déjà dit que...
_ Voilà les dix dollars.
Le patron ricana.
_ Je ne sais pas où tu as volé l’argent, mais ça me convient. Mets toi à cet ordinateur.
Elle ne tint pas compte de sa remarque, tapota quelques mots sur le moteur de recherche pour trouver des chaînes TV en ligne. Elle nota les informations qui lui paraissaient importantes.
_ C’est fini, petite. Ca fait une demi-heure, tout pile.
_ Mais je...
_ Rien. C’est fini.
Alors, comme pour un adieu, elle prit sa vieille veste et claqua la porte. Mais évidemment, ce n’en était pas un. Elle reviendrait encore et encore pendant le mois qui suivrait.
La porte claqua sous les regards offusqués des clients.
Elle marcha un quart d’heure en direction du grand bâtiment luxueux. L’enceinte du
Launceston News.
Elle appuya sur l’interphone.